Technique Alexander : Les principesDe l'usage des objets à l'usage de soiLe terme "technique" signifie "manière de faire". "Je n'ai pas la technique" cela veut dire: "je ne sais pas m'y prendre". Ou, à l'inverse, pour obtenir tel ou tel résultat, "j'ai une bonne technique". Par exemple, j'ai - ou je n'ai pas - la technique pour faire un créneau avec une grosse voiture dans une rue étroite ou faire fonctionner un ordinateur, pour capter l'attention d'enfants turbulents ou rester calme lors d'un conflit. Vous avez - ou vous n'avez pas - la technique pour préparer un examen sereinement et avec efficacité, ou bien pour trouver des champignons en forêt ou encore faire une petite coupe de cheveux. Les exemples d'activités apprises depuis le berceau qui demandent une certaine technique pour être menées à bien sont infinis. Nous avons appris à écrire, compter, raisonner, mémoriser. Nous avons appris des figures de danse, d'escrime, de karaté. Nous avons appris à jouer du piano, faire du vélo ou piloter un avion, faire la cuisine, etc… Nous n'avons pas cessé d'apprendre à utiliser des objets : un marteau pour planter un clou, une voiture pour nous déplacer, un stylo pour écrire, un ordinateur pour communiquer, un couteau spécial pour éplucher une pomme de terre… Sans trop réaliser que toutes ces techniques, toutes ces compétences passent par l'utilisation, le plus souvent non consciente, que nous faisons de nous-mêmes. Considérons un instant que, du matin au soir et de notre enfance jusqu'à la vieillesse, nous faisons usage de notre être. Or, une bonne ou une mauvaise technique d'utilisation de soi détermine un bon ou un mauvais fonctionnement de soi, qu'il s'agisse de notre santé, la qualité de nos actions ou de nos relations. Il existe des personnes qui réussissent brillamment tout ce qu'elles entreprennent, avec une aisance déconcertante. On peut dire de celles-ci qu'elles fonctionnent bien. Cependant, nous connaissons tous des personnes qui, bien qu'elles réussissent à atteindre leurs objectifs, souffrent de "bobos" plus ou moins gênants: fatigue nerveuse, dérèglements divers (sommeil, humeur…), lumbagos ou tendinites à répétition, insatisfaction chronique... On peut dire de ces personnes - sans doute les plus nombreuses - qu'elles fonctionnent tant bien que mal, presque "normalement" pourrait-on dire tant le cas est courant. Il arrive cependant que des personnes de la première comme de la deuxième catégorie, commencent à perdre subitement ou au fil des mois, souvent de façon inexplicable sur le moment, des compétences qu'elles croyaient acquises. Prenons le cas du pianiste dont la main se paralyse, ou celui de l'enseignant qui perd sa voix, de l'infirmière, de la coiffeuse, ou du dentiste qui souffrent tellement du dos qu'ils ne peuvent plus exercer leur métier : ils dysfonctionnent, comme un jouet cassé. Cette situation difficile et très douloureuse est celle qu'a rencontrée F.M. Alexander, vers la fin du 19e siècle, en Australie. Biographie de Frederick Matthias AlexanderCette histoire de sensibilité, d'intelligence et de persistance, qui est celle d'un homme sans aucune formation médicale, est l'une des vraies épopées de la recherche et de la pratique médicale.(Nikolaas Tinbergen, prix Nobel 1971 de physiologie et de médecine) Frederick Matthias Alexander (Australie 1869 - Londres 1955) était acteur de théâtre, connu pour ses déclamations de Shakespeare. Il poursuivait une brillante carrière lorsqu'il commença à souffrir de problèmes respiratoires, de maux de gorge sévères et d'enrouement sur scène. Seul le silence, le non-usage de sa voix, s'avérait un remède efficace. Mais alors, que devenait sa carrière d'acteur? Le théâtre était tout pour lui. Ainsi, bien qu'aucun médecin, aucun traitement n'ait pu le soigner, sa motivation pour guérir était inébranlable. Etre condamné au silence, pour un acteur, cela semble le pire des supplices. Pourtant, c'est grâce à la constatation que ses problèmes disparaissaient lorsqu'il cessait d'émettre un son pendant un certain temps, que lui est venue une pensée déterminante : "Tiens ! je souffre seulement dans les périodes où j'utilise beaucoup ma voix. Quand je ne l'utilise pas, elle fonctionne bien et je n'ai pas de maux de gorge. Pourrait-il y avoir une relation entre l'utilisation et le fonctionnement de ma voix ? Autrement dit, l'utilisateur que je suis pourrait-il être responsable de ce mauvais fonctionnement ?" De ces pensées et interrogations est né un plan d'action : celui de s'observer devant des miroirs tout en déclamant. Au fur et à mesure de cette auto-observation, qui a duré plusieurs années, Alexander a fait certaines découvertes dont la patiente mise en pratique l'a guéri au-delà de ses espérances : il a retrouvé un bon fonctionnement de sa voix, ses maux de gorge ont disparu, et sa santé générale s'est nettement améliorée. Sa guérison, lui ayant permis de remonter sur les planches avec succès, a intrigué le public : "Comment a-t'il fait ? Quelle est sa technique ?" Cet intérêt du public pour les travaux d'Alexander a non seulement permis l'élaboration de la Technique Alexander, c'est-à-dire un ensemble de procédés à pratiquer pour améliorer l'usage de soi (ce terme est explicité ci-dessous), mais aussi sa propagation. En effet, l'expérience a rapidement prouvé qu'Alexander avait mis en évidence une méthode qui ne concernait pas seulement les acteurs, ni même seulement les artistes, mais toute personne s'autorisant à explorer de nouvelles manières d'être afin de résoudre un problème. Peu à peu, Alexander a réussi à rendre son expérience transmissible et accessible à tous, sous la forme d'un enseignement (souvent individuel, parfois collectif), et non d'une thérapie. Il a eu de nombreux élèves, d'abord en Australie, puis en Angleterre et aux Etats-Unis. Il a formé des professeurs, qui en ont formé d'autres et ainsi de suite. Il y a maintenant dans le monde près de 3000 professeurs qui enseignent la Technique Alexander à des publics très variés, parfois avec le soutien d'organismes de formation, souvent au sein d'institutions telles que centres médicaux, conservatoires de musique et de danse, orchestres, écoles primaires, écoles professionnelles… Les cours de Technique Alexander ont pour objectif de permettre à l'élève de mieux connaître son propre mode d'emploi en développant sa sensibilité à lui-même en relation avec son environnement et en apprenant à repérer les obstacles intérieurs qui gênent constamment son bon fonctionnement. L'élève reçoit les "outils" qui le rendront autonome. Si la compréhension et la pratique de ces outils est identique pour tous, en revanche chaque élève peut décider d'appliquer ce qu'il apprend au cours de sa formation Alexander dans les domaines de son choix, selon ses aspirations particulières. Unité de l'être - Usage et FonctionnementDe quoi sommes-nous constitués? D'un organisme piloté de l'intérieur par un cerveau qui contrôle toute notre activité. Imaginez que vous apprenez à chanter, ou à nager : qui est aux commandes ? Vous avez sans doute un professeur de chant, ou de natation, pour vous aider, mais une fois qu'il vous a expliqué la marche à suivre, vous essayez par vous-même : la partie de vous-même qui commande votre organisme, votre cerveau, envoie les ordres jugés adéquats, par l'intermédiaire du système nerveux, pour organiser votre être en vue de tel ou tel résultat. Le cerveau contrôle tout ce que fait notre corps, à chaque instant. Il existe donc une relation intime entre le cerveau, le désir d'agir - ou de réagir - et la réponse de la personne tout entière à ce désir : Alexander a nommé cette interaction l'usage de soi. Déjà se dessine la possibilité de modifier ces ordres du cerveau afin de modifier la réaction au désir d'agir, ce qui modifiera finalement le résultat de l'action, si ce dernier était au préalable jugé insatisfaisant ou inefficace. A notre époque, plus encore qu'à celle d'Alexander, il est clairement établi que le corps et l'esprit fonctionnent de manière interdépendante. Toutefois, même si l'idée d'unité de l'être semble dominer dans les mentalités, qui en prend véritablement conscience, et ceci de façon renouvelée? Qui est prêt à assumer, sereinement et avec justesse, la prise de responsabilité qui en découle? Prenons un exemple banal. On dit, à juste titre, que le mal de dos peut avoir des origines très variées: on incrimine le stress, les mauvaises conditions de travail, le mobilier, le manque d'exercice, des malformations congénitales, les suites de la maternité, et bien d'autres choses encore. Le facteur "usage de soi", pourtant présent et déterminant dans tous les cas, n'entre généralement pas en ligne de compte dans le diagnostic médical. Ce qui signifie que notre part de responsabilité n'étant pas mise en évidence, notre capacité à nous remettre en question n'est pas non plus stimulée, et pas davantage notre désir et notre liberté d'évoluer grâce à un pouvoir de créativité propre à chaque être. Autant de forces qui demeurent inertes, figées en nous-mêmes. Alexander, en prenant le parti d'une patiente recherche sur lui-même, a évité une opération chirurgicale sans garantie de résultat, solution proposée par son médecin en désespoir de cause à l'époque de ses troubles. En s'observant dans des miroirs, Alexander fut bien étonné de constater un défaut qu'il n'avait jamais remarqué jusqu'alors : en déclamant, il tirait sa tête vers l'arrière. Il nota que cela exerçait une pression sur son larynx, et qu'alors il respirait de façon bruyante et nuisible pour ses cordes vocales. De plus, il remarqua que cette traction arrière de sa tête entraînait un raccourcissement de toute sa stature. Et en effet, en s'empêchant de tirer la tête vers l'arrière, il obtenait une amélioration immédiate : disparition de la pression sur le larynx, permettant le libre passage du souffle à l'inspir comme à l'expir, ainsi que la disparition de l'irritation des cordes vocales. En repérant son erreur d'utilisation, qui entraînait un mauvais fonctionnement de ses cordes vocales et provoquait des maux de gorge, Alexander comprit que ses maux ne venaient pas d'un agent extérieur (poussière, virus, malformation...) mais de son propre usage jusque là inconscient et incontrôlé. Toutefois, cette prise de conscience n'était pas suffisante: oui, cela apportait sur le champ une amélioration de l'usage et du fonctionnement d'Alexander, mais comment empêcher les automatismes de revenir insidieusement ? Le Contrôle PrimaireEn cherchant une manière de porter sa tête qui ne provoque pas de pression sur le larynx, Alexander a réalisé l'importance de la relation entre la tête et la colonne vertébrale, plus précisément l'influence du port de tête sur l'ensemble de la colonne : il a appelé cette relation le contrôle primaire. Cela devient plus clair quand on connaît le poids d'une tête - entre 5 et 7 kilos - et quand on pense que la force de gravité attire sans discontinuer ce poids vers le centre de la terre, ce qui exerce au passage des pressions sur la colonne, le bassin et les jambes (chevilles et surtout genoux). Chez l'être humain comme chez tous les vertébrés, c'est la tête qui doit entraîner le reste du corps, et non l'inverse. En étudiant le comportement animal, des scientifiques tels que R. Magnus et G.E. Coghill ont mis en évidence ces mêmes mécanismes découverts un peu plus tôt par Alexander sur lui-même. Pour le bipède qu'est l'humain, si la tête ne guide pas naturellement le corps, alors elle pèse sur la colonne ; elle doit alors être retenue par des muscles, dont la rétractation provoque un raccourcissement de l'ensemble de la stature. Instinctivement, l'enfant qui fait l'expérience de la marche propulse le poids de sa tête vers l'avant et vers le haut, produisant ainsi un déséquilibre rétabli automatiquement par la mise en mouvement des jambes. Pour se baisser - toujours instinctivement - l'enfant s'accroupit, ce qui respecte parfaitement le dynamisme tête/colonne. Malheureusement, ce que la nature donne au petit enfant, la culture le lui reprend. Quelques années plus tard, on retrouve ce même enfant devenu adolescent, avachi dans un fauteuil ou traînant sa carcasse tel un bagnard son boulet (on peut imputer cette différence de comportement à plusieurs facteurs: l'imitation inconsciente du mauvais usage des adultes ou des autres enfants alentour, les meubles mal conçus pour les enfants, l'utilisation excessive des chaises mais aussi des écrans en général, le système scolaire dont les exigences ne sont pas toujours adaptées à la sensibilité particulière de chaque enfant et peuvent encourager la peur d'échouer, les émotions liées aux tensions familiales, etc…). Cette régression alarmante se poursuit à l'âge adulte : elle concerne la plupart d'entre nous qui vivons dans les pays occidentaux et occidentalisés. En effet, le contraste est grand si l'on observe des femmes africaines ou de certains pays d'Asie transportant de lourdes charges sur leur tête : l'orientation dynamique de celle-ci frappe, non seulement par son efficacité mais par sa grâce. D'une manière générale, s'utiliser en fixant sa tête par rapport à la colonne va donc de pair avec un mauvais fonctionnement, non pas de la tête ou seulement de la colonne mais de l'ensemble de la personne : fatigue, douleurs, problèmes d'attention, de coordination, de respiration, et nombreux effets secondaires nuisibles. En revanche, une amélioration de l'usage du contrôle primaire entraîne une amélioration du fonctionnement global de l'individu : davantage de liberté et d'aisance dans l'action, de vitalité et tout ce qui s'ensuit. Ayant compris déjà tout cela, Alexander aurait pu stopper là ses recherches et tenter de reprendre sa carrière d'acteur. Cependant, il voyait bien que la simple compréhension du mode d'emploi ne lui apportait pas la guérison. Il poursuivit donc ses investigations qui débouchèrent sur d'autres découvertes…. Habitude et non-fiabilité de l'appréciation sensorielleGrâce à ce minutieux auto-examen devant ses miroirs, Alexander a déjà pris conscience de son erreur, insoupçonnée jusqu'alors, concernant l'orientation de sa tête. Il remarque à présent que, malgré sa bonne volonté, il ne réussit pas à établir les conditions de bonne utilisation : alors qu'il a l'impression d'être dans un nouvel usage, l'ancien usage est revenu, à son insu. Il doit admettre que le cerveau ne gère pas forcément de façon fiable l'information sensorielle reçue, c'est à dire correspondant à l'usage réel ; l'information est déformée, comme fabriquée "à l'intérieur", comme si notre cerveau simulait le monde, chacun de nous vivant >dans une réalité virtuelle suffisamment proche du réel pour que nous ne nous cognions pas aux meubles (Rick Hanson). Ce phénomène, Alexander l'a baptisé non-fiabilité de l'appréciation sensorielle. Sur le plan psychologique, chaque personne entretient, plus ou moins inconsciemment, des croyances sur elle-même (on se sent mal ou très bien dans sa peau, incapable ou très compétent dans tel ou tel domaine,, bon ou mauvais parent, peu ou prou enclin au changement, favorable ou non à tel ou tel aspect de la réalité, etc.). Ces croyances - ou fixations - si elles ne sont pas régulièrement observées par leur "propriétaire" en tant que telles, représentent un frein à l'évolution. En relation avec ses convictions personnelles, chacun développe au cours de son existence, presque sans s'en apercevoir, une identité, une façon d'être, un usage de soi absolument unique : une façon intime de réagir à l'action des agents extérieurs (stimuli), d'utiliser sa voix, de déplacer et de porter son corps, de vivre ses émotions... Vues de l'extérieur, certaines façons d'être peuvent sembler comiques ou dramatiques ; en revanche, pour la personne qui les vit, elles sont généralement, parfaitement familières, vécues sans recul, et par conséquent normales et n'appelant aucune remise en question. Pour prendre un exemple simple, il se peut que vous ayez depuis "toujours" pris l'habitude, sans le vouloir et sans le savoir, de vous tenir debout les mains sur les hanches en écartant les jambes et en vous cambrant ; ou en vous déhanchant, une épaule plus haute que l'autre, la tête penchée sur un coté et les bras croisés. Cette façon de faire vous semble absolument normale et confortable : pourtant, quand mes élèves se voient en photo, ils sont tous, sans exception, très étonnés de constater à quel point l'ensemble de leur corps est en déséquilibre, leur dos exagérément cambré ou leur tête bien plus en avant par rapport à la colonne que ce dont ils avaient l'impression. Même l'impression d'effort qu'ils donnent vue de l'extérieur leur passait inaperçu. Tant que l'on ne souffre pas, tout paraît normal, c'est à dire comme d'habitude. A moins que l'on ne s'ouvre à une exploration intérieure comme l'a fait Alexander et bien d'autres. Selon Alexander, l'appréciation sensorielle conditionne la perception - on ne peut pas connaître quelque chose au moyen d'un instrument faux. La capacité de reconnaître nos erreurs d'utilisation, soutenue par la méthode d'apprentissage qui va suivre, est un des paramètres qui permettra à nos comportements d'être modifiés. On peut dire que l'Alexander développe une lucidité psychophysique bienveillante, extrêmement utile dans la vie de tous les jours, comme dans l'apprentissage d'un loisir ou d'un art (danse, musique, arts plastiques, pêche à la ligne, roller…) ou dans l'exercice de n'importe quel métier. Savoir que nous fier à nos sensations revient à nous orienter dans l'espace avec une boussole qui n'indique pas le nord amène une façon nouvelle d'être attentif à notre propre usage. Tout en étant acteur de notre vie, nous en devenons de plus en plus spectateur. Ainsi, Alexander s'est mis à observer sa manière (et plus tard celle d'autrui) de diriger l'usage de son organisme. Il faut avouer que, généralement, le commun des mortels ne réfléchit pas à cette question. Il s'utilise machinalement, sans envisager d'autres chemins que celui qui se présente automatiquement à son esprit : chercher à obtenir immédiatement et directement un résultat en réponse à un stimulus ou à la satisfaction d'un besoin. Et cela, sans attention particulière à l'instrument qui doit lui donner satisfaction - cet instrument étant sa propre personne, autrement dit un ensemble de moyens dont la coordination ne coule pas de source. Habitude de vouloir (le but)Quelques exemples de la vie courante où notre tendance à "vouloir tout tout de suite" nous joue des tours : combien de machines toute neuves ont grillé parce qu'on en a pas d'abord lu le mode d'emploi d'un bout à l'autre ? Lorsqu'on prend sa première leçon de conduite, ne doit-on pas écouter l'instructeur jusqu'au bout sous peine de foncer dans le mur ? Vous pouvez peut-être penser à deux ou trois enfants qui ne savent lire l'énoncé d'un problème de maths qu'en diagonale, avec les conséquences que l'on connaît...S'impatienter dans un embouteillage, désirer ardemment le sommeil quand celui-ci ne vient pas naturellement, désirer être joyeux quand on a le cœur lourd, essayer de contrôler directement le fonctionnement de ses muscles, sa voix, son souffle, ses émotions, c'est vouloir le but. Vouloir le but, c'est créer un décalage dans le présent - faire des projets qui se situent dans l'avenir est différent - entre ce qui est en train de se passer et notre désir d'autre chose. Cela crée du stress et le stress crée des tensions physiques de tous ordres. Le désir d'obtenir tel ou tel effet vocal, telle ou telle performance respiratoire, puis le désir de corriger directement ce qui n'allait pas, est l'attitude qu'Alexander a mise en évidence, le concernant, comme faisant obstacle à la bonne marche des choses. S'ils ne sont pas conscientisés, ce désir d'un présent "autre" ainsi que l'anxiété qui fait partie du tableau sont susceptibles de nous emboîter le pas, dès notre entrée à l'école, et de nous accompagner en nous affaiblissant insidieusement tout au long de notre existence. Par extension, les grands dangers (désastres écologiques, choix politiques, économiques et sociaux favorisant le court terme contre le long terme) qui menacent la vie de la planète, mais plus encore la nôtre et celle de nos enfants, ne sont-ils pas quelque peu en relation avec cette attitude trop humaine de vouloir le but ? Alexander disait à ses élèves : Vous n'êtes pas ici pour faire des exercices, ou apprendre à faire quelque chose de manière juste, mais pour devenir capable de reconnaître un stimulus qui vous conduit toujours à l'erreur, et pour apprendre à y faire face. Voici également une autre façon, qui allie les découvertes les plus récentes en neurosciences et les courants les plus anciens de philosophie, de dire sensiblement la même chose : Pour devenir plus heureux, plus sage et plus aimant, nous devons parfois nager à contre-courant de tendances profondément ancrées dans notre système nerveux. Développer une simple écoute du monde, de soi, libère l'organisme des tensions qui le parasitent habituellement et nuisent à l'action. Non seulement cet entraînement qui va à l'encontre de nos automatismes ne bloque pas notre spontanéité ou nos élans, mais encore il nous permet justement de laisser nos projets se réaliser, sans ce "vouloir" qui interfère avec notre liberté intérieure, la fluidité psychophysique, qui est sans doute - paradoxalement - notre souhait le plus profond. DirectionsSelon Alexander, changer, cela implique d'aller à l'encontre des habitudes de toute une vie. L'unité de l'être, le lien entre usage et fonctionnement, le contrôle primaire : grâce à ces principes, nous savons mieux ce que nous sommes et ce que nous souhaitons, un usage de soi naturel. Nous connaissons les obstacles, ces deux grandes habitudes qui surgissent à chaque instant et nous barre la route vers une résolution, une simplification : notre dépendance inconsciente à des sensations/croyances trompeuses et l'attitude de vouloir le but. Si tomber dans les ornières de l'habitude nous paraît bel et bien comme la chose à éviter, Il nous manque encore la stratégie. Rappelons ici que l'auto-examen d'Alexander devant des miroirs n'a pas duré des mois, mais des années. Toujours en relation avec la déclamation - mais n'importe quelle activité aurait pu entraîner la même recherche et les mêmes découvertes - il a d'abord réalisé peu à peu combien sa méthode habituelle et instinctive l'avait induit en erreur, puis il a permis que se dégage un autre chemin. Il s'est ouvert à une nouvelle façon de s'y prendre, une façon de diriger son organisme sans le contraindre, qui lui évite de retomber dans ses habitudes. Que signifie "diriger son organisme sans le contraindre"? Il s'agit d'écouter intérieurement et passivement des consignes que l'on se donne à soi-même, sous forme de phrases soigneusement choisis pour leur précision, leur clarté et leur effet indirect sur soi. Alexander a nommé cette pratique les directions (le terme "direction" faisant allusion aux ordres du cerveau). En l'occurrence, Alexander souhaitait ne pas forcer son cou et sa tête dans une crispation engendrant un bloc tête/cou (schéma incompatible avec le respect du contrôle primaire), de façon à ne générer ni un rétrécissement au niveau du larynx ni un raccourcissement au niveau du tronc. Ce qu'il exprimait par la phrase suivante : Je laisse le cou libre, pour laisser la tête aller vers l'avant et vers le haut, pour laisser le dos s'allonger et s'élargir.Ces directions sont porteuses d'une sève si riche et vivante qu'elles n'appellent aucun "lifting" après plus d'un siècle d'existence ! Car au XIXème siècle comme au XXIème, notre corps pèse un certain poids. Ce poids, constamment soumis à la gravité terrestre, a naturellement tendance à s'affaisser. Cet affaissement, principalement de la colonne vertébrale, a de nombreuses conséquences nuisibles: outre le fait qu'il n'est source ni de grâce ni d'efficacité dans l'accomplissement de gestes quotidiens comme de mouvements plus complexes (artistiques, sportifs, techniques), cet affaissement s'accompagne de tensions musculaires (nuque, épaules, diaphragme…), de distorsions au niveau du squelette (cage thoracique, bassin, genoux…), des pressions (gorge, poitrine, abdomen…), voire de l'usure précoce (du cartilage notamment). Quand il ne déclenche pas des pathologies dont certaines mènent à des opérations chirurgicales, le mauvais usage de soi les convie ou les aggrave considérablement : tendinites, arthrose, migraines, troubles respiratoires, digestifs, etc…, mais aussi insomnie, dépression, troubles de l'attention… Sans jamais perdre de vue son objectif premier - le théatre - les expériences d'Alexander l'ont amené incidemment à apprendre à gérer le poids de son corps dans l'espace, simplement en évitant d'interférer avec les lois physiologiques et physiques naturelles, en laissant son être s'organiser au moyen d'ordres conscients, correspondant à un usage approprié, afin que s'accomplissent les gestes conduisant à l'élocution. Notez cependant que lorsqu'on parle de "directions" en Technique Alexander, on parle d'un apprentissage délicat et d'une pratique assidue. A ce point de son évolution, cette pratique des "directions" permettait à Alexander d'améliorer immédiatement son usage et sa performance, mais pas encore de prolonger cette bonne coordination aussi longtemps que souhaité. InhibitionL'habitude de "vouloir le but" est omniprésente dans notre vie. Si nous sommes capables de ne pas prendre le temps de lire un mode d'emploi correctement, il y a des chances pour que cette même impulsivité se retrouve dans bien d'autres situations. Pourtant, si nous voulons apprendre à engager notre être tout entier dans une direction qui nous convient mieux, nous devons d'abord envisager de ne pas réagir à "un stimulus qui nous conduit toujours à l'erreur" par un "faire" impatient et précipité. Autrement dit, pour bien faire, nous devons être capable de ne rien faire. Comme Alexander qui disait : "Je vois enfin que, si je ne respire pas, je respire…" (sous-entendu : si, grâce aux "directions", j'arrête de soulever volontairement la poitrine et de faire rentrer l'air d'une façon active et forcée, si je laisse mon être s'organiser sans interférer avec son fonctionnement naturel, et que je laisse le "faire" se faire, tout se passe bien). Quelques secondes de non-réaction, de neutralité entre la réception d'un stimulus et la réponse à ce stimulus apportent à la personne qui se les octroie un bien précieux: la possibilité de "choisir" entre plusieurs réponses, liberté qui émane d'une écoute passive et non-jugeante et qui débouche sur une action "vive" et non pas calculée. Alexander a donné à cet entraînement le nom d'inhibition (terme auquel Freud et Alexander ne donnent pas du tout le même sens). L'inhibition, selon Alexander, est non seulement consciente mais librement choisie. L'inhibition, loin de faire office d'éteignoir sur la flamme de nos élans, suppose une "rapidité neurologique" qui ne s'acquiert pas en un jour. Pourtant, dès lors qu'on s'y intéresse, elle apporte inspiration et entrain. Si nous pouvons reconnaître notre empressement à réagir comme source des catastrophes qui en résultent (accidents, maladie, conflits, échecs, confusion, grosse fatigue…), nous pouvons apprendre dès maintenant à cultiver une conscience tranquille et large du monde, à observer en temps réel notre envie de changer ou de changer les choses de façon immédiate et directe pour choisir de gérer nos forces physiques et psychiques dans une direction toujours plus conforme à nos aspirations profondes. Un exemple d'inhibition dans le règne animal est celui du félin, chasseur affamé, qui est instinctivement capable, à quelques centimètres de sa proie, de s'immobiliser pour mieux l'attraper. Un peu comme s'il activait ses directions vers un maximum d'efficacité le moment venu. Un exemple d'invitation à l'inhibition dont chacun porte un écho lointain est : tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler. Sans commentaires… ConclusionSi vous êtes plutôt optimiste de nature, vous pensez sans doute que cette Technique Alexander, vous en ferez rapidement le tour. Mais si vous penchez vers le pessimisme, peut-être pensez-vous : "Oh là là, quel boulot ! Une vie n'y suffira pas." Dans un cas comme dans l'autre, je vous dis : commencez à travailler avec un professeur expérimenté car il ne s'agit pas de comprendre ce dont il s'agit à travers des mots mais de le vivre dans votre être. Laissez-vous surprendre par les nouvelles sensations qui naîtront en vous alors que vous serez à l'écoute des instructions tactiles et verbales de votre professeur : sensation de facilité à accomplir des gestes qui normalement vous coûtent, sensation de légèreté quand habituellement vous vous sentez lourd et fatigué, sensation d'éveil et de spontanéité là où vous ne vous y attendez pas. Le génie d'Alexander a été d'inventer une sorte d'entraînement psychophysique subtil très moderne pour son époque et cautionné par la suite par des personnalités de renom (*), entraînement qui rejoint des philosophies vieilles comme les sagesses les plus anciennes : connais-toi toi-même, méfie-toi de l'illusion, cultive le détachement, le non-faire, lâche prise... Son génie fut de faire coïncider des découvertes faites sur lui-même et par lui-même avec la recherche et la pratique d'une liberté psychophysique tangible, appliquée non pas à une voie spirituelle réservée à une élite vouée à l'ascèse, mais plutôt à la vie quotidienne de tout un chacun. Cette pratique accompagne de nombreuses personnes partout dans le monde, des personnes qui ont pu un jour envisager une meilleure qualité de vie au sein de leur famille ou avec leurs amis, au cours de leurs activités professionnelles ou de leurs loisirs, des personnes qui se sont donné les moyens d'aller vers leur épanouissement. __________ (*) telles que : Nikolaas Tinbergen - prix Nobel 1973 de physiologie et de médecine John Dewey - pédagogue et philosophe américain (1858 - 1952) Aldous Huxley - journaliste et romancier américain (1894 - 1963) Raymond Dart - anthropologue (1893 - 1988) |
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